Mieux ici qu'en face


Il s'agit du nom du bar qui se trouve en face de la prison de la santé à Paris. Je ne suis pas certain qu'il existe encore mais pendant des décennies, c'est là que les familles attendaient la sortie de leurs parents incarcérés. J'ai toujours trouvé cette note d'humour particulièrement savoureuse.

Comme à peu près tous les samedis matin, je me suis rendu tout à l'heure à la maison d'arrêt du Pontet pour y visiter mes clients incarcérés.

Cela fait bientôt 25 ans que je fréquente les maisons d'arrêt de France et de Navarre, et, décidément, je ne m'y ferai jamais.

Même avec l'habitude, et avec la certitude de ressortir quand bon me semblera, il n'en reste pas moins que dès que l'on passe le premier mur d'enceinte, on sent une sorte d'oppression vous assaillir qui ne vous quittera que lorsque vous vous serez extrait de ce lieu.

Je satisfais aux obligations de sécurité et je me dirige vers la salle qui est réservée aux entretiens entre les avocats et leurs clients.

Pour les détenus, cela ressemble un peu aux couloirs de l'espoir. Espoir d'avoir une bonne nouvelle de la part de son avocat, ou simplement la certitude d'un moment d'humanité partagée dans un monde qui ne l’est guère.

C'est tellement vrai, que la plupart de ceux que je suis amené à rencontrer n'ont pas vu leur dossier particulièrement avancer de sorte que je n'ai pas grand-chose à leur dire sur la procédure qui les concerne. Il s'agit plutôt de quelques minutes au cours desquelles le détenu va pouvoir, en quelque sorte, s'évader de son univers en étant en contact avec quelqu'un qui n'appartient pas à ce lieu. En partageant les instants d'un homme libre, vous vous libérez un peu.

On trouve, dans les maisons d'arrêt, toutes sortes de détenus.

Il y a les habitués. Ceux dont on a l'impression qu'ils se sentent presque aussi bien à l'intérieur de ce lieu qu'en liberté. Il s'agit souvent d'une façade qui colle au personnage qu'ils se sont forgés.

Et puis il y a la cohorte de ceux qui n'ont rien à faire là.

Les honnêtes gens qui ont, une fois dans leur vie, commis une infraction et qui se retrouvent catapulté dans un monde qui n'est pas le leur. On les reconnaît vite à leur regard. Ils sont perdus, inquiet, et ne parlent généralement à personne.

Et puis, il y a ceux dont la place serait plutôt dans un établissement psychiatrique, mais que la psychiatrie ne peut ou ne veut pas prendre en charge. Ils ont souvent le regard vitreux, ils sont bourrés de cachets, et moi qui viens tôt le matin, je me rends compte que pour nombre d'entre eux, l'effet des somnifères qu'ils ont pris la veille ne s'est toujours pas estompé.

Comme l'administration pénitentiaire n'est pas équipé n'a pas vocation à soigner les malades, par principe de précaution, ils sont abrutis par la chimie, afin de ne pas poser de problèmes de comportement.

Pour certains d'entre eux, je sais que les mots que je leur prononce n'atteindront jamais leur conscience. Mais je suis sûr que le simple fait d'entendre le son de ma voix et de pouvoir échanger avec moi représente pour eux un moment important dans leur vie carcérale.

Pour les pénalistes du coin, c'est aussi l'occasion de se retrouver et de faire, en quelque sorte, corps pour passer ce moment si curieux, ou la phrase d'Henri Leclerc qui traite les avocats pénaliste de mendiants d'humanité prend tout son sens.

Le dernier détenu que j'avais visité quitte le boxe et je récupère mes affaires pour retrouver le chemin de la liberté.

Les avocats font partis des rares personnes à pouvoir dire qu'ils ont ressenti ce que représentait la privation de liberté.

Après avoir récupéré mes affaires au vestiaire, la dernière porte s'ouvre et je prends un grand bol d'air, frais et libre.


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