Le métier d'avocat, c'est un peu comme la vie. C'est souvent une succession de déboires, entrecoupé de quelques moments de joie intense.
Hier, j'ai eu le privilège de vivre une de ces journées fastes.
La matinée a commencé en recevant la décision du petit François. Je l'attendais depuis la veille, et mon estomac était noué. J'avais tellement peur que ce petit garçon ne puisse pas poursuivre le début de vie qu'il avait commencé, que j'en étais presque malade.
La décision est tombée, comme une délivrance, comme un soulagement.
On a parfois l'habitude de dire que la joie de l'avocat dépasse presque celle du client pourtant plus particulièrement concerné. Dans ce cas de figure, j'ai vraiment eu la sensation que la joie été totalement partagée.
Je ne sais si vous vous en rappelez, mais j'ai déjà eu l'occasion de vous parler d'un jeune homme que j'accompagne depuis maintenant plus de 10 ans. C'est Brice, le fils de ce directeur d'Intermarché retrouvé assassiné dans son lit, et pour lequel, malgré ses dénégations, son épouse a été déclaré coupable et condamné à trois reprises.
Heureusement, la cour de révision a ordonné un supplément d'information et j'ai bon espoir qu'un nouveau procès puisse enfin l’innocenter.
En parallèle du procès pénal, j'avais initié une procédure civile car, avant de mourir, cet homme avait prêté une très forte somme d'argent à sa mère pour lui éviter la vente de la maison familiale. En contrepartie, elle devait donner cette propriété à son fils, ce qu'elle n'a pas eu le temps de faire compte tenu de son décès. Elle n'avait jamais voulu entendre parler de rembourser cette somme et j'ai donc été obligé, pour Brice, qui était l'héritier de son père, de faire un procès pour obtenir le remboursement de cet argent
. En première instance, j'ai été débouté de toutes mes demandes, alors que le fondement juridique de mon action était incontournable.
En début d'après-midi de cette même journée faste, j'ai reçu l'arrêt de la cour d'appel. Il a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et condamné la grand-mère à restituer à Brice la somme de 254 000 €. Une paille !
J'avais par ailleurs et pour une toute autre affaire, défendu un homme contre un établissement bancaire bien connu et très puissant, qui lui réclamait le solde d'un prêt alors que cet homme indiquait n'avoir jamais signé un acte de prêt auprès de cette banque, dans laquelle il était titulaire d’un compte.
Cet homme était venu me trouver après avoir perdu en première instance. J'ai donc fait appel pour lui et j'ai réussi à obtenir une expertise graphologique qui a permis de démontrer qu'il n'était pas le signataire de ce prêt.
La cour d'appel a condamné la banque à restituer l'intégralité des sommes qu'il avait pu prélever à tort sur le compte de cet homme et l’a par ailleurs condamné à 10 000 € de dommages et intérêts, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.
Nous étions en milieu d'après-midi. À partir de cet instant, parce que j'ai un peu l'habitude de la vie, je me suis mis à faire très attention à ce qu'il allait pouvoir me tomber sur la tête dans les minutes qui suivaient.
Dans mon métier, lorsqu'on a un peu trop de bonnes nouvelles en même temps, on s'attend toujours au revers de la médaille, au retour de flamme.
C’est pourquoi je profite pleinement de ces moments, où l'on est fier, et ou on a le sentiment d'avoir été utile.
J'en profite d’autant plus, que je sais que demain verra certainement son lot de déboires, de défaites, de désespoirs de clients qu'il faudra pouvoir gérer.
Je ne me sens jamais aussi riche que lorsque j'ai le sentiment d'avoir été utile.
Mais demain sera un autre jour, où il faudra continuer à se battre, et ou comme le dit mon éminent confrère Henri Leclerc, l'avocat c'est un peu comme la chèvre de M. Seguin, :
Il se bat avec courage, vaillamment, résiste aux assauts toute la nuit, mais souvent, au matin, il est mangé.
Ce qui me rassure, c'est que plus je vieillis, moins je suis appétissant !